Il y 4.000 ans, les Égyptiens utilisaient le plomb afin de concevoir des fards qui, en plus de leur effet esthétique, étaient dotés de vertus thérapeutiques. Pour mieux comprendre cet usage, des chimistes (notamment du CNRS, pilotés par Christian Amatore) ont évalué l'impact de très faibles quantités de plomb. Résultat : elles ne tuent pas les cellules de la peau et elles induisent la production d'une molécule qui active le système immunitaire. Appliquer des fards à base de plomb peut donc déclencher un mécanisme de défense qui, en cas d'infection oculaire, limite la prolifération des bactéries.
Cela fait bien longtemps que des chercheurs s'intéressent aux produits cosmétiques - complexes - employés par les Égyptiens anciens. Le plus souvent, ils étaient constitués de mélanges de galène (un sulfure de plomb) noire et de substances blanches, naturelles ou bien synthétisées à partir notamment de sels de plomb. Dans leurs écrits, les médecins grecs et romains soulignaient le rôle capital de ces substances pour le soin des yeux. À l'heure où le plomb est surtout connu pour sa toxicité potentielle, cela peut surprendre. Pour connaître la fonction exacte jouée par les sels de plomb, l'équipe française s'est intéressée à la laurionite, un chlorure de plomb qui figure parmi les sels synthétisés par les anciens Égyptiens, et à son action sur une cellule isolée de la peau. La laurionite peut déclencher la présence d'ions plomb Pb2+ dans l'oeil ou sur la peau, ce qui accroît la production de monoxyde d'azote, un radical qui intervient comme messager du système immunitaire. Il stimule l'arrivée des macrophages, des cellules "éboueurs", capables d'ingérer les bactéries éventuellement présentes.
Le liquide lacrymal d'un Égyptien à l'oeil maquillé de fard noir s'enrichissait donc progressivement en ions Pb2+ à la suite d'une faible dissolution du produit, ce qui devait stimuler la production de macrophages. Voilà qui expliquerait les propriétés médicales des fards conçus par les anciens Égyptiens. "On comprend mieux pourquoi ces derniers les considéraient comme des émanations des yeux des dieux Horus et Ra qui les protégeaient", concluent les chercheurs.